La crise sanitaire a accentué les difficultés au sein des familles. Dans les foyers les plus fragiles, les adolescents ont été perçus comme une charge entrainant une augmentation significative du nombre de cas de ruptures familiales.
Aujourd’hui en France, l’âge moyen de la décohabitation avec les parents se situe à environ vingt-trois ans et l’accès à l’emploi stable à environ vingt-sept ans. Les mesures de protection de l’enfance, elles, s’arrêtent à dix-huit ans et un jour. De nombreux jeunes sans famille doivent se préparer à être autonomes à un âge où la grande majorité prolongent naturellement leur adolescence.
Bien que le gouvernement ait admis cette injustice, de nombreux jeunes continuent de se retrouver en situation de précarité extrême. 40% des SDF de moins de 25 ans viennent de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Partant de ce constat, Anaïs Oudart a ciblé des jeunes femmes entre 18 et 25 ans ayant connu enfant ou adolescente une situation de rupture familiale.
Elle a décidé de témoigner de leurs difficultés à l’âge adulte à se construire seules, sans parents ni famille. Nombreuses ont connu ou connaissent une situation de précarité de logement, certaines ont un parcours d’errance, d’autres ont eu recours à la prostitution comme moyen de s’en sortir. Toutes continuent d’avancer malgré le manque de soutien, de repères et de logement. Alors que pour certaines les difficultés perdurent, d'autres réussissent à se stabiliser et s'engagent naturellement vers la protection de l’enfance.
Cette série témoigne d’enfances chaotiques et précaires. Elle présente des portraits de femmes dans leur parcours de réinsertion, qui doivent se battre plus fort que les autres pour essayer d’arriver au même niveau.
En 2022, par l’intermédiaire de 7 structures en lien avec l’hébergement d’urgence et l’Aide Sociale à l’Enfance, Anaïs Oudart est allée à leur rencontre aux quatre coins de la France. Ces structures l’ont aidée à identifier des jeunes filles qui souhaitaient témoigner de leur parcours.
Elle a réalisé un portrait et une interview de chacune d’entre elles dans un procédé collaboratif. Elle a suivi leurs choix du lieu de prise de vue et la façon dont elles souhaitaient être représentées, tout en révélant leur force et leur résilience. Lors des interviews, Elle les a laissées libres d’exprimer ce qu’elles avaient envie de partager avec la photographe et le reste du monde. Ce travail leur rend hommage. Le chiffre 17 fait référence à cet âge charnière où Anaïs Oudart pu constater de nombreux cas de rupture.
-> Lire l'interview de Anaïs Oudart par le Magazine POLKA
Biographie d'Anaïs Oudart
Anaïs Oudart est une photographe basée à Paris. Son travail explore la fragilité des rapports humains à travers des projets de portrait engagés. Lauréate de plusieurs bourses et mentorats, elle collabore avec diverses organisations et marques prestigieuses. Sa double compétence en studio et en reportage a été acquise lors de ses années au Studio Rouchon, où elle a travaillé avec des photographes renommés et participé à des campagnes publicitaires de grandes marques.
Ils viennent de Somalie, du Mali, de Côte d’Ivoire, d’Algérie, de Turquie, d’Iran ou d’Albanie. Ils ont fui la guerre, la dictature religieuse, le crime organisé ou des coutumes patriarcales qui soumettent femmes et petites filles aux pires vexations. Ils ont tout laissé pour trouver refuge en France où ils demandent l’asile.
En attendant que leur sort ne soit scellé par les services français de l’immigration, une cinquantaine de personnes sont hébergées dans le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Lagrasse, en Occitanie.
Le petit village des Corbières a une forte tradition d’accueil. En 1983, les Lagrassiens ouvraient leurs bras aux « boats people », ces réfugiés cambodgiens, laotiens et vietnamiens fuyant la dictature Khmer. Depuis, les demandeurs d’asile s’y succèdent le temps de la procédure.
Les résidents du Cada vivent dans l’ennui et la lenteur du quotidien. Ni chez eux, ni arrivés, ils sont dans l'impossibilité de se projeter, leur avenir étant suspendu à une décision administrative qui peut mettre des années à arriver. «On ne sait pas quand on arrive, on ne sait pas quand on repart », résume Ahmed, 15 ans.
Au cœur du village, le Cada est un petit bout d’ailleurs. Un territoire où le temps se dilate et l’espace se rétracte, où les jours sont faits d’ennui et les nuits de nostalgie. Une tour de Babel où chacun tait son drame mais où tous partagent une même attente ambigüe, teintée de crainte et d’espoir.
Biographie de Sarah Leduc
Née en 1981 à Paris, Sarah Leduc est journaliste et photographe indépendante, partageant son temps entre la France et l’Espagne. Diplômée en anthropologie à l'EHESS et en journalisme international, elle a travaillé plus de 12 ans comme reporter à France 24 avant de se consacrer à la photographie. Formée à l’EFTI et membre de l’agence Hans Lucas depuis 2023, elle s’intéresse particulièrement aux droits de l'Homme et aux migrations. Lauréate du Prix Bayeux pour une enquête sur le viol comme arme de guerre en République Démocratique Congo (RDC). Ses photos ont été publiées dans El Pais, Le Point, et Afrique XXI.
Thierry est sans-domicile-fixe. Depuis 25 ans, il sillonne la France, sa maison sur le dos, après qu’il ait tout quitté, rompu tout lien avec sa famille, son travail et les institutions.
Mat Jacob raconte sa démarche : « J’ai croisé son chemin en pleine pandémie, triste temps où les gens de toutes les origines sociales s’éloignent et se protègent les uns des autres. Les relations se durcissent et bien plus pour ceux qui sont à la marge. L’isolement sonne encore plus fort. Les conditions de vie se fragilisent. J’ai hébergé Thierry quelques temps, un lien s’est tissé.
Nous avions convenu que je prendrai la route à ses côtés, je témoignerai de ce qu’est la vie à la rue, dans ce monde-là, en ces temps-là. Il m’a donné son accord, puis peu après, il a disparu. Il a choisi un autre chemin. Je suis parti à sa recherche dans le Doubs et à Besançon, dernier endroit où il avait été aperçu. La recherche de Thierry s’est transformée en enquête. Une quête… dans le milieu des sans-abris, de ceux qui ont pour domicile les rues des villes.
Je rencontre alors Stéphane, Madhi, Daniel, l’Indien, Ademaro, Angel, et beaucoup d’autres, ainsi que le personnel de l’abri de nuit et de l’accueil de jour. Ils témoignent. Je photographie l’absence de Thierry. J’écoute et j’enregistre les tranches de vie, je tente de comprendre la rupture, la chute, l’addiction, l’errance, la vie au jour le jour.
Face à eux, je constate l’indifférence, le rejet et l’empathie, la gêne et l’impuissance. Je découvre aussi l’incroyable énergie des travailleurs sociaux, la patience et la tolérance. De cette immersion est né un récit qui ne dit pas tout car chacun porte en lui le secret de son existence, un secret bien gardé dont on peut deviner les racines, chercher les causes, tenter de comprendre mais guère plus. Mais il existe une autre réalité, celle de nos vies et de l’époque que nous traversons. Et eux, les fragiles, se retrouvent nus et sans voix face à la violence du monde d’aujourd’hui ».
Démarche : Mat Jacob s’est longuement questionné sur la forme à adopter pour un sujet qui traite de la précarité. Comment photographier la rue, l’addiction, la détresse et la fragilité ? « Je souhaitais éviter l’écueil d’une iconographie sensationnelle, d’une esthétique de la misère. Dans la rue, je sortais la photo chiffonnée de Thierry de ma poche au grès des rencontres : ‘’Je cherche un ami, Thierry. Vous connaissez cet homme-là ? ‘’. Cette histoire s’est construite comme une enquête où je me suis laissé guidé dans les pas des sans-abris de la ville de Besançon ».
Cette série a été réalisée dans le cadre de la grande commande photographique du Ministère de la Culture, pilotée par la Bibliothèque nationale de France, intitulée "Radioscopie de la France, regards sur un pays traversé par la crise sanitaire".
Biographie de Mat Jacob
Mat Jacob, co-fondateur du collectif Tendance Floue en 1991, est un photographe pluridisciplinaire dont le travail documentaire et humaniste est façonné par ses nombreux voyages. Sa série "Chiapas, Insurrection zapatiste au Mexique", réalisée sur plus de vingt ans, a été exposée à l’international et publiée dans la collection Photo Poche, lui valant un prix au World Press Photo. Il a également exploré le thème de l’éducation à travers vingt pays avec *Les Mondes de l’École*. En 2018, il crée Zone i, un espace dédié à l’image et à l’environnement, et en 2021, il publie "Valparaíso", fruit d’une résidence au Chili.