C’est au cœur d’une unité de soins pour sans-abris que le photographe Cyril Zannettacci assiste en 2021, au déferlement de l’épidémie du Covid19.
Situé à Nanterre, aux portes de Paris, le Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri (CHAPSA), lieu unique en France, accueille et accompagne des sans-abris dans un parcours de soin.
Avec ses airs d’hôpital abandonné, le centre accueille des sans-abris depuis la fin du 19ème siècle. À l’origine, il s’agissait d’une prison pour éloigner les mendiants. Il faudra attendre le début du 20ème siècle pour qu’il devienne le centre que l’on connaît aujourd’hui : un lieu accueillant exilés, travailleurs précaires, femmes fuyant les violences. N’ayant pas les mêmes ressources, ni la même réputation que la médecine classique, la médecine sociale souffre d’un manque considérable de moyens, de budgets et d’effectifs. Rationnement, voire disparition de certains produits d’hygiène, locaux vétustes, WC condamnés depuis des mois, équipe de nuit réduite à une infirmière et une aide-soignante pour quarante-huit patients…
À la tête du service médical, la docteure Valérie Thomas est à deux doigts de rendre sa blouse : aujourd’hui cet établissement hybride est au bord de la rupture. Elle déplore non seulement le «mépris d’État envers ceux qui soignent les plus pauvres *», mais aussi l’injustice liée à la dégradation des services atteignant son paroxysme depuis l’épidémie. Elle « voit bien, comme ses équipes, le fossé qui sépare la médecine sociale de la médecine classique dans notre système de santé (…) il n’est pas aisé de trouver des subventions pour notre public, qui n’a aucun poids politique. Il est toujours plus facile financièrement de tenir une clinique à Neuilly qu’un centre pour sans-abri à Nanterre* ».
Chaque vague de contamination est une nouvelle épreuve pour l’hôpital et son effectif réduit qui supporte de moins en moins les conditions dans lesquelles il travaille. Une unité Covid accueillant les cas infectés par le virus lors de la pandémie a dû fermer l’année suivante à cause du nombre insuffisant du personnel soignant. Au bord du burnout, ceux qui restent se mobilisent tant bien que mal pour continuer les soins et protéger la santé des sans-abris. « Ce n’est pas n’importe quel lieu, prévient un médecin à la cantine. On trouve ici condensés tous les problèmes du monde actuel* ».
*Les citations sont issues de l’article de Romain Jeanticou, "L’hôpital de la rue", pour le Télérama n°3727, paru le 16/06/21
Biographie de Cyril Zannettacci
Né en 1973, Cyril Zannettacci est un photographe français basé à Paris, membre de l’Agence VU’. Formé à la Société Française de Photographie, il débute comme assistant en studio avant de réaliser sa première commande pour Libération en 2011. Depuis 2015, il collabore régulièrement avec ce journal, réalisant portraits et reportages sur des sujets de société. Il travaille également avec des ONG et des publications internationales telles que le New York Times, The Guardian, et Vanity Fair. Il privilégie les projets au long cours pour explorer et interroger les mutations du monde contemporain
Un travail réalisé en association étroite avec des femmes en situation de grande précarité.
De nombreuses femmes vivent dans une situation de grande précarité. A un moment de leur vie, parfois depuis l’enfance, elles ont subi des violences qui les ont amenées à se retrouver dans l’insécurité, l’instabilité et l’isolement. Certaines ont dû fuir leur entourage, leur conjoint, ou même leur pays. Perte d’emploi, mari violent, orientation sexuelle punie par la loi, séquestration, mariage forcé, maladie… les chocs vécus les mettent en situation d’exclusion passagère ou prolongée. Elles deviennent sans abri, sont hébergées par le 115 ou passent la nuit dans un Noctilien. Malgré tout, elles font preuve d’une grande résilience.
Comment reprendre un nouveau développement après une agonie psychique et/ou physique ? Lorsqu’une épreuve fracassante nous tombe dessus, nous avons le sentiment de frôler la mort, que c’est la fin de tout. Et pourtant… ces femmes ont décidé de ne pas rester prisonnières de ce chaos, et de vivre leur vie le moins mal possible.
Karen Assayag accompagne, depuis mars 2021, une quinzaine de femmes de 19 à 55 ans, en situation de grande précarité, accueillies au centre de jour de l’association Le Filon, à Paris. Elle y anime une activité créative, pour apporter à ces femmes un petit moment de joie, comme une parenthèse dans leur quotidien tumultueux. L’atelier se poursuit depuis plus d’un an, à raison de 2 séances par mois, et mêle photographie, peinture et écriture.
Le travail présenté mixe des photographies prises à l’appareil jetable par chaque femme, avec des portraits que la photographe a pris d’elles lors de sorties individuelles. Chaque femme photographie ce qu’elle souhaite révéler et partager de son quotidien, hors de l’accueil de jour, seule. En parallèle, Karen fait des portraits seule avec chacune, dans le lieu de son choix, le temps d’une journée toutes les deux. Par la suite, ces photographies sont imprimées, commentées, peintes dans un esprit collectif, de brassage, de partage, de croisement des regards. A travers l’atelier, modestement, elles ont mis un peu d’art à leur portée, les amenant un porter un regard différent et bienveillant sur elles-mêmes.
De ce travail émerge une certaine force qui émane de la personnalité et de la réalité du quotidien de ces femmes. Mais aussi de la couleur, de la joie, de la douceur dans le rapport à la féminité, de la détermination, de l’espoir. L’intention est de montrer qu’elles ne sont pas que des femmes en situation de grande précarité, mais qu’elles ont des ressources intérieures, une volonté de ne pas subir leur vie. Karen Assayag souhaite casser le cliché misérabiliste de la représentation de la grande précarité et raconter ce qu’il reste de beau au fond d’elles, malgré la dureté de leur vie.
Avec l’association et les femmes accompagnées, elles ont décidé de montrer enfin ce travail intime pour la première fois, en vue de créer un écho entre le monde et elles, de leur rendre leur légitimité, de les amener à se voir autrement et à être vues par le plus grand nombre.
Biographie de Karen Assayag
Née à Casablanca, Karen Assayag a vécu 17 ans au Maroc avant de s’installer à Paris. Après 11 ans en agence de communication, elle se consacre à la photographie en rejoignant l’agence Hans Lucas en 2012. Elle réalise des portraits, des séries documentaires et explore une approche créative mêlant photographie, collages et peinture, qu’elle partage dans des ateliers en pédopsychiatrie et auprès de femmes en situation d’exclusion. Collaborant avec la presse, Karen a été finaliste de la Bourse du Talent Mode 2013 et a exposé dans divers lieux, dont la Maison Européenne de la Photographie et les Rencontres d’Arles.
Un travail transmédias sur les espaces de vie et les projets de jeunes migrants mineurs.
Comment donner la parole à des jeunes migrants sans les enfermer dans leur parcours migratoire ? C’est pour répondre à ce désir qu’est né le travail collaboratif transmédias « Ici et demain », c’est pour rendre visible et audible les projets et les rêves de jeunes migrants mineurs en France. Qu’est-ce qui les surprend ? Quelles sont leurs passions ? Comment ont-ils envie de se construire?
Le foyer Pangéa est intégré au sein du dispositif Grands Voisins, un lieu parisien alternatif social et solidaire. Ce foyer loge des jeunes migrants mineurs accompagnés par des éducateurs de l’aide sociale à l’enfance et leur permet de retrouver un espace personnel pour se poser, se rassembler et construire son avenir.
La chambre est le seul espace intime qui nous appartient, on y entasse les artefacts de notre vie. C’est à partir de cet espace que l’on a construit le projet « Ici et demain » avec Céline, éducatrice sur Pangéa. On enferme trop souvent les migrants dans le récit de leurs parcours migratoires, nous voulions leur offrir une manière d’évoquer leurs rêves d’avenir ici et demain.
Pierre Jarlan a créé, à partir de leur chambre, un dispositif transmédias à l’aide de la technique de la photogrammétrie regroupant pour chacun :
Ce projet s’est construit comme un travail collaboratif, avec les jeunes du foyer : Mohamed, Oury, Issa, Hafiz, Mahamat, Loseiny, Amara et Yankouba. Les jeunes mettent en scène dans leur chambre leurs objets, le photographe règle l’éclairage et réalise des centaines de photographies de la chambre. Ces images servent une reconstruction informatique en trois dimensions puis je demande à l’ordinateur de calculer « mon image » depuis une vue imaginaire du ciel. Avec ces images 3D et vue du Ciel, Pierre Jarlan retrouve les jeunes pour un entretien dans lequel ils parlent de leur choix de mise en scène, de leur vie ici et de leur rêve demain.
A travers les images de leur espaces de vie, les reconstructions 3D et les enregistrements audio nous avons voulu vous proposer un regard intime sur ces bouts de vies.
Biographie de Pierre Jarlan
Né en 1983, Pierre Jarlan est pédopsychiatre et photographe basé à Paris. Après avoir été l’assistant de Jean-François Rauzier, il a développé des dispositifs transmédia mêlant photo, son et film, explorant les liens entre art et science. Résident à la School of Visual Art en 2011, il a suivi une formation en sciences cognitives et art à l’ENS, débutant ainsi son travail sur la représentation psychique. Lauréat de la Fondation pour la Recherche Médicale en 2016 et du prix Hangart en 2021, il a exposé en Europe et aux États-Unis, tout en réalisant des projets de commande.